Le monde du travail en France connait, au cours de ces deux dernières décennies, une mutation de ses statuts d’exercice de l’activité professionnelle. EN VIDEO
Si les commerçants et les artisans cèdent la place au salariat de masse en grandes-surfaces, le secteur des services (communication, informatique, études conseils, formation…) vit un phénomène inverse. Ces pratiques professionnelles jusqu’alors institutionnalisées, encadrées et régies par des administrations, se transforment : elles s’externalisent. Le salariat majoritairement représenté, transite vers une nouvelle forme de statut du travail : l’indépendant.
Cette transformation est telle, que la France compte en ce début du XXI° siècle, 3,1 millions de travailleurs indépendants. Si l’on peut attribuer ce résultat à l’évolution des mentalités sur la notion du « travail » dans l’esprit des nouvelles générations, les décisions politiques ont encouragé la tendance en légiférant en faveur de ces nouvelles formes de travail.
La loi du 4 août 2008 entrée en vigueur du nouveau statut « auto-entrepreneur » au 1er janvier 2009, marque un symbole fort dans l’esprit des travailleurs : créer son propre emploi comme solution à une problématique liée à l’absence de travail ou liée à un malaise dans l’exercice de son activité. L’argument politique avancé sur la facilité administrative et fiscale pour l’accès à ce nouveau statut, suscite un effet d’aubaine pour les travailleurs sans-emploi, pour ceux en quête d’évolution professionnelle, pour ceux en attente d’une revalorisation de leur rémunération.
L’argument de facilité a alimenté l’illusion de la facilité de créer, piloter et développement une entreprise. S’engouffrent dans ces statuts entrepreneuriaux, des professionnels en posture de salariés. Sans doute avec une maîtrise technique d’un métier, ces auto-entrepreneurs sont dénués, pour la majorité, de compétences entrepreneuriales. La confusion de la facilité administrative annoncée expose des professionnels non aguerris aux pratiques de prospections commerciales, aux calculs de rentabilité économique, aux négociations tarifaires, à la défense de leur propre rémunération.
En conséquence, la situation sociale, économique et financière des travailleurs indépendants est fragile voire précaire. 10% d’entre eux dépendent d’un seul client, ils vivent une relation de salariat caché sans bénéficier d’une protection sociale digne d’un statut de salarié. 90% dégagent un revenu inférieur au smic au bout de trois ans d’activité. La majorité des travailleurs indépendants ne s’autorise pas à être malade et vit avec l’inquiétude d’une interruption d’activité et don de rémunération en cas d’arrêt maladie.
Et pourtant, le moral et la bonne humeur des travailleurs indépendants semblent être au plus fort. Se soustraire à une relation de subordination d’emploi, s’aménager un cadre spatiotemporel adapté à sa vie personnelle, s’octroyer le choix des missions et de ses clients sont autant de sensation de liberté qui conduisent au bien-être au travail.
Ainsi nous nous interrogeons sur les motivations qui animent les travailleurs indépendants à persévérer dans ce statut en confrontant richesse et valeur travail au sens d’Hannah ARENDT. Alors que l’industrialisation de l’économie du XVIII° conduisait les travailleurs à troquer la valeur travail (autonomie de l’artisan dans leurs outils de production, dans la créativité, dans le prolongement de soi dans la réalisation accomplie) contre la richesse (attrait pour une rémunération garantie liée à l’accomplissement d’une tâche voire d’une mono-tâche sur le modèle fordiste), le XXI° témoignerait-il d’un phénomène inverse ? Le travailleur privilégierait-il la valeur travail à la richesse rémunératrice du travail ?
Anne SOUETRE, Fatima SFIA et Fanny LIGNERES ont mené une recherche sur ce thème dans le cadre du Colloque M’20 -12° colloque interuniversitaire sur le thème du Management des Technologies Organisationnelles- qui se tiendra à la Maison des Sciences de l’Homme à Montpellier les jeudi 1er et vendredi 2 Octobre 2020.